ENSEIGNEMENT SPIRITUEL



 

Dépassement et réalisation

 

D’après les évaluations traditionnelles les plus optimistes, le nombre de ceux qui peuvent échapper à la roue des naissances ou au « prince », ce qui revient au même, ne saurait en aucun siècle excéder 1 pour 10 000. C’est à ceux qui font ou qui souhaitent faire partie de ces 1 pour 10 000 que, fraternellement, je dédie ce petit ouvrage.

George Saint-Bonnet

 

Si tu es content et fier de toi, si tu es satisfait de ta présente condition, si tu crois à la grandeur humaine et à l’excellence de cette civilisation, et si tu ne penses pas qu’il y ait lieu désormais de pleurer davantage sur les berceaux que sur les tombes, repousse loin de toi ce petit ouvrage qui t’irriterait sans profit.

Mais si l’animal qui se dit humain peut et doit, selon toi, faire quelque chose pour posséder effectivement le droit de se dit humain, alors, soyons amis et cheminons ensemble...

Notre but ?

Si nous le disons, beaucoup riront de nous... Tant pis ? Non : tant mieux ! Tu verras plus tard des gains fabuleux que l’on réalise du fait de ces sortes de rires... Avouons-le donc en toute sérénité : ce que nous voulons, c’est vaincre la mort en trouvant Dieu.

Entends-tu ? Déjà les rires commencent ! Et un joli petit mot tinte au milieu de ces rires : folie ! Folie !... Un joli petit mot pimpant et léger... Folie ! Folie ! Or, est-il pour l’homme une autre source de sagesse que cette folie là ?

Vaincre la mort en trouvant Dieu, dis-tu ? Soit ! Mais quels sont nos moyens ? Et d’abord, y a-t-il un Dieu ?...

 

Y a-t-il un Dieu ? Attends, pour poser la question, d’être capable d’entendre la réponse...

Démarche

Quant à nos moyens, ils sont là, dans ce petit livre où nous allons cocher, au passage, les formules ou maximes dont nous nous imprégnerons jusqu’à ce que leur substance devienne notre substance, jusqu’à ce que ce soit en elles et par elles, finalement, que nous pensions.

Des formules ingénieuses et subtiles, précieusement guillochées de main d’orfèvres byzantins ? Que non !... Nous préférons l’utile au rare, l’indispensable au superflu. On vit de pain et non de macarons. Gens et choses qui servent, voilà ce qu’il nous faut. Au diable gens et choses qui ne peuvent que briller...

Voulez-vous ressembler à ces esprits scintillants qui miroitent dans les académies, qui ont des idées sur tout et en changent sans s’en apercevoir...

Nourriture

Mieux vaut n’avoir qu’une idée, qu’elle soit bonne, et la vivre...

Une idée, cela s’incarne et porte celui qui l’incarne. On vit de sa vie. On en tire stature et force. Mais cent idées, cela écrase, dissocie ou dévore son homme tout vif, comme le ferait une bande de fourmis rouges.

Nous vivons de nos formules. Plus exactement : nous vivons selon les formules dont nos esprits sont nourris. Ce sont elles qui créent ou conditionnent nos réflexes. Si Pierre ne pense pas comme Paul, c’est que leurs assortiments de phrases-clés ou charnières sont différents. Mais tous les deux pensent en raison des maximes les mieux établies en leur mémoire, de celles qui tiennent le plus de place ou reviennent le plus souvent... N’aurions-nous pas tort en disant qu’ils pensent ?

À la vérité, ce sont leurs formules qui pensent pour eux. Ou si l’on préfère : ils sont pensés par leurs formules... Or, ne sommes-nous pas tous semblables à Pierre et à Paul ?

Aussi bien au mental qu’au physique, l’homme est fait de ce dont il se nourrit. Le malheur est qu’il sait mieux choisir pour son ventre que pour sa tête. Pour sa tête, il accepte n’importe quoi, puis il en redemande, s’étonnant ensuite de la marée montante des dérangements de l’âme... Il y a beau temps, si nous acceptions pour nos estomacs ce que nous acceptons pour nos esprits, que nous serions tous morts empoisonnés !

Des Voies

Or, que sont les yoga ?... Trop de gens s’en font, ainsi que du yoguisme, des idées délirantes, et, bien entendu, répandent ces idées à tort et à travers avec la magnifique autorité que leur confère l’ignorance. Le résultat est que trop d’autres gens, en conséquence, éprouvent une espèce de terreur sacrée aussitôt que l’on en parle... Ils croient percevoir des odeurs de soufre. Leur corps tremble, leurs âmes frémissent. Bref : le diable est là...

Pour d’autres gens encore, le yoga constitue la révélation des révélations. Il est la clé d’or qui ouvre toute grande les portes du ciel, le chemin magique qui conduit tout droit aux pouvoirs suprêmes. Bref : Dieu est là...

Ces derniers n’ont pas tellement tort, d’ailleurs, concernant la présence de Dieu, tout au moins, puisque Dieu est partout. Mais sa présence ne tient pas plus au yoga qu’elle ne pourrait tenir à la loi de Manou ou au Code civil. Il est là parce qu’il est là, tout simplement, et le yoga n’est rien de plus qu’un des moyens utilisés par les hommes -- entre beaucoup d’autres moyens -- de se rendre sensibles à sa présence...

Moyen nouveau, paraît-il... Oui, assurément, pour ceux qui, grâce à lui, auront fini par entendre dire des choses de ce genre : « soyez un avec le père comme je suis un avec lui... La vérité vous libérera... Cherchez plus près que votre souffle... Trouver le royaume et sa justice et le reste vous viendra par surcroît... » Etc. etc.

Remettons les choses en place : un honnête est vrai yoga – nous ne parlons pas des manuels de détraquement psychiques ou des précis de désagrégation mentale que certains importateurs font probablement rédiger dans les asiles des Indes ou du Tibet -- n’est rien d’autre qu’un recueil de maximes ou de mantras (c’est la même chose) propres à placer et à maintenir l’intelligence dans une orientation ou des activités favorables, qu’une discipline dont le but est d’amener l’esprit à la perception du réel...

C’est à dire : Rien d’autre qu’une méthode de compréhension destinée à dégager l’esprit des illusions de caractère hypnotique – réveillez-vous ! Clamait Saint Paul -- qui l’encerclent et lui dissimulent le primordial... Si l’on préfère : rien d’autre qu’un système d’accrochage de l’âme au permanent, au substrat, à l’éternel, à ce qui -- aussi bien en elle qu’en l’univers -- fut, est et sera toujours.

Un bon et honnête yoga -- nous ne parlons pas des méthodes de dressage que l’on utilise pour modeler les cervelles selon telle obédience ou tel totalitarisme -- est avant tout conçu en raison de la nature et des particularités du mécanisme mental de l’homme. Il est calculé pour en mobiliser et accroître toutes les possibilités, ce dont il résulte que, même pour les matérialistes d’entre les matérialistes, il ne saurait être discuté, sinon en tant que moyen de dépassement vers le divin, du moins en tant qu’instrument de culture et d’épanouissement dans l’humain.

De la voie à la Joie

Reste la question des pouvoirs, de ces fameux pouvoirs que tant d’êtres méprisent en paroles tout en se desséchant du désir de les posséder !... Ils existent, la chose n’est pas niable. Et ils apparaissent immanquablement, sans même que l’on ait besoin de les rechercher, au cours d’une ascèse bien conduite. Alors, disons le vrai : tant pis pour ceux qui s’en saisissent. Car ils passent dès lors à côté de l’essentiel, du meilleur et du plus précieux : la joie.

Quant au but poursuivi -- entreprise de fou pour la plupart des hommes -- il s’exprime par l’un où l’autre de ces mots : illumination, réintégration, satori, union à Dieu, retour au principe etc. etc. ... Nous choisissons toutefois d’en user avec plus de circonspection et de prudence et de viser moins loin pour atteindre plus sûrement. Et nous dirons : ce que nous voulons d’abord -- ensuite nous verrons -- c’est que notre vie prenne un sens et une signification, et le fasse d’elle-même, selon la nature des choses et de l’homme, comme l’eau trouve sa pente. Ce que nous voulons, c’est parvenir ainsi, et nous savons que nous le pouvons, à un certain état de libération, de sérénité et de joie.

Ensuite, nous verrons... À moins qu’il n’est plus rien à voir. Car enfin, si nous avons trouvé la joie dont ont parlé les bouddhas et le Christ, que pouvons-nous souhaiter de plus ?

Des lois

Sur ce, prenons la route... Et que chacun veuille bien se dire : « voici : je vais lire au dedans de moi-même, en pensant ou en repensant les phrases et les mots, et surtout, en me voulant attentif à ce que l’on peut percevoir dans les intervalles, pendant les temps de souffle ou d’arrêt, en me voulant attentif à ce qui, soudain, surgit de l’immensité du silence... »

Si tu veux aller vite et comprendre sûrement, fuit les philosophes et les théologiens, sois humble et va au plus simple, même si tu dois courir le risque de paraître simpliste.

On peut nier l’existence de Dieu. Mais on ne peut nier que tout se passe, en ce monde, comme s’il y avait quelque part, ou partout à la fois, (ce qui revient au même), un générateur de force et d’énergie perpétuellement en action, en bref : un générateur de vie...

Les philosophes, à l’occasion, parlent de moteur universel alors que les théologiens parlent de Saint-Esprit ou de volonté de Dieu. Rien de tout cela ne nous gêne. Bien au contraire. Mais nous parlerons plutôt, pour la commodité de la réflexion, d’émetteur central, et nous dirons : « il y a donc quelque part, un émetteur central d’où nous viennent toutes choses et toutes lois ».

Ces choses sont la vie, la mort, la pensée, la connaissance, l’amour, la musique, la compréhension etc. etc.

Ces lois sont celles qui régissent ces choses : harmonie, pesanteur, gravitation, rythme, logique, attraction, etc., en résumé : les lois de la vie (ou de l’êtreté) et de tout ce que cela comporte.

Et c’est bien cela que l’on ne peut nier : l’existence de ces lois ainsi que leur caractère d’universalité... Nul ne saurait faire une addition ou accorder un violon à New York autrement qu’à Paris ou à Rome. Une erreur de rythme est exactement la même à Java qu’à Pékin. Et si nombreuses que soient les langues et si différentes leurs sonorités, la syntaxe est une, de même que la logique.

Or, si difficiles à assimiler et à servir que soient les lois de l’harmonie ou de la logique par exemple, de nombreux hommes s’y efforcent et y parviennent. Y aurait-il des géomètres, des musiciens et des mathématiciens sans cela ? Ces hommes acceptent une subordination, une obéissance nécessaire, et finalement, du fait de leur obéissance même, triomphent pour leur plaisir et pour le notre. Aurions-nous autrement des concerts et des voitures ?

Tout le drame humain ne provient-il pas de ce que nous répugnons à nous soumettre de la même manière à la totalité des lois qui régissent les choses ? Nous nous conduisons tous comme des musiciens qui répudieraient l’harmonie ou le rythme et comme des mathématiciens bien décidés à utiliser n’importe quelle algèbre, sauf le bon.

De l’Amour

Prenons n’importe quelle chose, l’amour par exemple, car l’amour est une chose, et non une loi comme on le dit trop souvent sans spécifier ce que l’on entend par là. Une chose régie, ni plus ni moins que la musique ou les associations chimiques, par les lois d’attraction, d’équilibre, d’harmonie, de complémentarité etc. ... Et voyons à l’aide d’images et d’exemples ce qui se passe dans la plupart des cas :...

L’émetteur central, du plus haut et du plus pur de son antenne, diffuse un rayonnement « amour ». Ces vibrations ou modulations amour, qui portent joie en leur essence, doivent aller tout droit leur chemin jusqu’aux confins de l’univers, et, sans avoir subi ni sophistication, pollution ou altération, retourner à leur source afin de repartir pour un nouveau voyage. Ces vibrations arrivent à moi comme elles arrivent à toutes les créatures. Elles m’envahissent et m’imprègnent. J’en deviens en quelque sorte porteur et comptable. Comment vais-je les utiliser, aussi bien me concernant que concernant autrui ? Vais-je au moins m’efforcer d’obéir aux lois qui les régissent comme le musicien obéit à celle de l’harmonie ?

Pas une seconde je ne m’en soucierais. Ce qui comptera pour moi, puisque l’amour sera là, ce sera d’en profiter le plus possible. Que m’importera de dévier le rayon, de briser l’onde ou de souiller la vibration ? Je n’y songerai même pas. Qui donc y songe, du reste ? Personne. Tout est bien pourvu que l’on reçoive... Quand on ne reçoit plus, par contre, tout change...

Voici qu’un soir, en rentrant, je trouve ma maison vide. Ma femme s’en est allée, s’en est allée au bras d’un autre... À l’affreuse traîtresse ligne ! Me faire ça à moi ? À moi qui l’aimait tant ?... Mais oui je l’aimais, et sincèrement, profondément, de même que l’on aime ses habitudes et son confort. Elle était jolie, flatteuse, soumise, indulgente à mes humeurs, toujours prête à satisfaire mes moindres caprices ou fantaisies. Elle raccommodait mon linge, soignait mes vêtements et me soignait moi-même lorsque j’étais malade. Bref : son service était parfait. La domestique idéal en somme.

Je tenais à elle indiscutablement. Je tenais à elle pour tout ce que j’en exigeais, pour tout ce qu’elle me donnait... Est-ce que je me souciais de ce que je lui donnais, moi ? Est-ce que seulement je me préoccupais de savoir si elle était ou non heureuse ? L’idée qu’elle n’avait peut-être pas tout ce qu’elle désirait, moralement surtout, ne m’effleurait même pas. J’étais satisfait. Donc tout allait bien... Qui aurait pu se douter !

Déçue dans ses aspirations peut-être les plus profondes et légitimes, frustrée dans ses rêves ou tout simplement écoeurée d’une existence de boniche à salaire indéterminé, la malheureuse a cédé à l’appel d’une illusion de bonheur. Elle est partie et je suis là, à dénoncer son ingratitude et sa bassesse, sans comprendre...

Je souffre comme un damné. Et je suis en effet cruellement atteint... Atteint dans mon amour ? Allons donc ! Je le crois bien sûr. Et je suis sincère. Est-ce suffisant pour que ce soit vrai ?

Je souffre dans mon amour-propre et dans ma vanité, voilà l’exact. Dans mon orgueil et mes habitudes... Ce qui m’oppresse, c’est le vide qui, soudain, s’est creusé autour de moi...

Qu’ai je fais du rayon d’amour ? Du rayon qui venait à moi, qui était en moi et que j’ai négligé de transmettre, de rayonner à mon tour comme l’émetteur central le fait et sans aucun doute veut qu’on le fasse ?

Recevoir et donner, voilà la loi en son minimum d’exigence. Ne pas être comme un récepteur qui étouffe au dedans de lui-même tout ce qu’il reçoit, ou qui, s’il diffuse, ne le fait qu’en sophistiquant et polluant, sous forme de grincements et de couacs...

Mieux : donner sans compter, donner sans avoir reçu ni songer à recevoir, donner pour donner...

Aimer pour aimer, aimer pour sentir passer en soi l’onde de l’amour... Tu ne comprends pas, ami ? Tu comprendras bientôt. Sans que tu t’en doutes, nous avançons à grands pas sur le chemin, à moins que ce ne soit les choses qui cheminent en nous à plus grand pas encore. De toutes façons, notre horizon ne tardera pas à s’élargir magnifiquement...

Dira-t-on que nous faisons de la morale ? Si oui, on aura tort. Nous nous contentons de voir et d’enregistrer comment vont les choses. Que « s’efforcer de donner plus que l’on ne reçoit » ou que « mettre sa joie à donner » coïncide avec les enseignements de la morale, voilà qui est fort possible et dont nous ne pouvons au demeurant que nous réjouir. Mais cela correspond surtout à la façon dont fonctionne la mécanique universelle, à la nécessité, à un ensemble de lois aussi totalement imprescriptibles que celle de la pesanteur...

De l’usage des lois

Puisque ces lois sont imprescriptibles, n’est-ce pas l’intérêt plus encore que la morale qui en commande le respect, l’acceptation et l’étude ?... Que des malins tournent les lois fiscales ou autres et puis glissent entre les doigts des gendarmes de la République, fort bien. Il sont de vrais malins aussi longtemps qu’ils ne se font pas prendre. Mais serait-il encore de vrais malins s’ils fraudaient dans la certitude d’être pris ?... Or, si les gendarmes de la République ratent souvent les délinquants, ceux du cosmos, eux, ne les ratent jamais...

Tu pleures parce que ta femme s’en est allée au bras d’un autre ? Eh bien, cet autre, ce sont les gendarmes du ciel qui l’ont envoyé... Justice est faite. Et ce que tu appelles souffrir, c’est payer l’amende !...

Si donc tu as à souffrir -- ancre bien cette idée au plus profond de toi -- c’est que tu as d’une façon ou d’une autre contrevenu à quelque loi de l’univers. L’homme n’est jamais affligé -- ou malade -- qu’en raison ou conséquence de ses erreurs, manquements, oublis ou dérobades.

Dieu est une chose, et sans doute peut-il intervenir dans nos affaires par sa miséricorde. Heureusement du reste. Il y a longtemps que, sans cette miséricorde, nous serions plus là. Mais le fonctionnement de cet univers est tout autre chose. Nous avons intérêt à nous représenter ce fonctionnement comme celui d’un mécanisme aussi complexe que démesuré, inhumain ainsi que tous les mécanismes, fait d’innombrables rouages absolument inconscients et irresponsables, qui tournent sans même savoir qu’ils tournent, parfaitement ignorants de ce qu’ils triturent, malaxent ou broient, même s’il arrive que ce soient nos bras, nos jambes, nos âmes ou nos coeurs... À nous de ne pas nous laisser prendre par de tels engrenages.

À nous d’obéir aux lois et de ne pas déclencher sur nos nuques la chute des imprescriptibles couperets. Tout est magie en ce monde, et tout est choc en retour. Or, le choc en retour, qu’est-ce donc exactement ? Voici :

Tu mésuses des forces que l’univers met à ta disposition, et donc, les détournes de leur destination véritable. Ou alors, tu omets de transmettre ces forces et en limites l’emploi à ton seul usage. Ou bien tu les dénatures et les pollues, etc. de toutes façons tu interromps ou freines un courant et modifies à ton profit, par égoïsme ou par bêtise, un certain équilibre qui n’est autre que l’équilibre universel. En somme tu fausses le niveau. C’est tout : un moment donné le niveau se refait contre toi. Il y a là un principe comparable à celui des vases communicants.

Ce que l’on paie après coûte toujours plus cher que ce que l’on paie avant...

Tu me demandes quelle est la première de toutes les lois ? Je dirais : la loi de transmission, qui n’est autre que la loi de charité.

Transmettre ce que l’on reçoit de l’émetteur central, et de transmettre tel qu’on le reçoit, sans en altérer la pureté.

Si tu préfères : vivre consciemment selon l’impulsion principielle, selon le courant fondamental qui porte et anime les univers, et non selon les courants secondaires qui ne sont que déviation ou dérivation, que détournement du primordial.

Par exemple : un homme aime de toutes les forces qui passent en lui une femme qui consent à cet amour. Voilà qui est parfait. L’amour circule. Cet homme et cette femme reçoivent, transmettent, échangent ce que l’émetteur central rayonne...

Mais un homme aime une femme qui ne consent pas à son amour et cependant exige qu’elle soit à lui. Il la brutalise, la possède malgré ses supplications et ses cris, dans l’horreur... Ce sont encore les forces de l’émetteur central, bien sûr, qui passe par cet homme -- car rien n’existe qui ne vienne de lui -- mais elles ne lui arrivent pas directement comme au premier.

Il s’est laissé « happer » par un ou plusieurs émetteurs secondaires -- luxure, bestialité, sadisme etc. … -- qui lui transmettent ces forces dénaturées alors que le premier les reçoit dans toute leur originelle pureté.

Un homme vient secrètement en aide à un autre homme sans se soucier de sa religion ou de sa couleur, par pure charité. Il est indiscutablement branché sur l’émetteur central... Mais si cet homme veut des remerciements ou exige que son obligé confesse telle ou telle foi, sur quel émetteur est-il branché ?

Et sur quels émetteurs sommes-nous branchés lorsque nous nous montrons orgueilleux, vaniteux, menteurs, jaloux, cupides, voleurs, avides, haineux, despotiques, boudeurs, acrimonieux, sarcastiques, violents, ou même inquiets ou anxieux, hâbleurs, ostentatoires ou seulement geignards ?

Aucun bien, sauf momentané, ne saurait résulter pour nous de ces sortes de branchements. Rien de ce qu’ils conditionnent n’est durable ou stable. Les succès où les plaisirs dont ils sont l’origine deviennent immanquablement échec ou douleur... Il n’est de salut qu’en l’émetteur central. De lui seul provient l’irréversible et le constant. De lui seul naissent la paix, la sérénité et la joie.

Du Principe

C’est donc sur l’émetteur central qu’il y a lieu de se brancher, sur l’éternel, le permanent, le principe... Est-ce vraiment possible, demandes-tu ?

Je ne te rappellerai pas les paroles de Jésus : « soyez un avec moi comme je suis un avec le père... Plus près de vous que votre souffle » etc. Selon lui, la chose est donc possible. Et il semble que grâce à lui un certain nombre d’entre les hommes aient réussi.

Mais d’autres que lui ont formulé la même affirmation, d’autres que lui furent et sont encore des guides pour les multitudes, d’autres que lui qui furent les sages entre les sages et surent se hisser, dit-on, aux plus hauts sommets de la vérité accessible. Écoutons les...

Bouddha : « celui qui sait son corps éphémère comme l’écume et illusoire comme un mirage, détournera la flèche fleurie de Mara et ne sera pas joint par le seigneur de la mort... Regarde le monde comme une bulle de savon. Si tu ne vois dans le monde qu’un mirage, le roi de la mort ne te trouvera pas »…

Lao Tseu : « qui connaît le constant embrasse et saisit tout. Son corps peut se dissoudre, il est au-delà »…

Nous lisons, dans les Upanishads : « Voyant l’Eternel en toutes choses lorsqu’il quitte le monde, le sage devient immortel... C’est par le mental, par la maîtrise du mental dans le coeur qu’il est révélé. Ceux qui connaissent cela deviennent immortels »…

Que dis-tu ? Que tout cela est bien joli, mais que tu voudrais connaître les moyens de t’accrocher ou de te brancher, d’entrer en contact et d’ « être un »...

Ouvrir la Porte

Il n’y a pas un mais des moyens. Et ils sont connus, archiconnus, rabâchés : prière, oraison, méditation, charité, dévouement, don de soi, discrimination, autant de façons de demander afin que l’on vous donne, de frapper afin que l’on vous ouvre...--on peut frapper longtemps ! -- Saint Augustin raconte, dans ses confessions, qu’il a frappé 28 ans ! Et que la porte était ouverte pour lui, comme elle est toujours ouverte pour tout le monde, du reste, sans qu’il s’en fût rendu compte...

La porte est toujours ouverte. Mais nos yeux sont ainsi faits -- nos yeux pour ne point voir -- qu’ils nous la montrent fermée.

Le bonheur et la joie

Soit. Mais j’ai déjà beaucoup prié, médité et réfléchi. En vain. Je me crois en outre charitable... N’y aurait-il pas quelque chose d’autre que je puisse essayer ?

(**) Si : d’être doucement, calmement, paisiblement, pleinement heureux...

Un homme heureux, mais un homme heureux comme je viens de dire, un homme empli de joie sereine, fait tout ce qu’il doit faire en ce monde. Il s’accomplit, et par cela même s’unit à Dieu... Tu ne comprends pas ? Un homme heureux est un exemple, un témoignage. Il rayonne du bonheur. L’atmosphère autour de lui devient céleste. Tous ceux qui l’approchent le sentent et sont transformés. Non seulement il s’accomplit, mais Dieu s’accomplit en lui. N’est-il pas écrit : « trouvez le royaume de Dieu et tout le reste vous viendra par surcroît » ? Eh bien, c’est cela le royaume de Dieu : la joie... Songes-y bien : que pourrait-il être, ce fameux royaume, s’il n’était pas celui de la joie ? Ou, si tu veux : de la félicité. Mais où est la différence ? Celui-ci possède l’une possède l’autre et, déjà, se trouve au paradis.

Certains te diront, et je serais assurément l’un des premiers parmi cela : « l’union se fait d’elle-même lorsque l’homme « est dans son centre », lorsqu’il a mis au pas tous les « petits moi » qui le constituent, lorsqu’il a harmonisé et placé sous la houlette de sa conscience toutes les parties généralement aberrantes ou divergentes de lui-même, lorsqu’il est « en paix », en somme.

Dès lors, un mystère s’accomplit -- pas un miracle, un simple mystère -- c’est-à-dire une chose que l’on ne comprend pas toujours très bien mais qui est « dans l’ordre et selon la nature »... Automatiquement, du fait qu’il se centre et s’unifie en lui-même, l’homme se centre, s’unifie et se fond en Dieu. Question d’harmonie, si l’on veut, et de correspondance. Du moment qu’il s’accorde à ce qu’il y a en lui de tonalité principielle, l’homme s’intègre à la symphonie cosmique. Il trouve le La du grand orchestre et peut tenir pupitre dans l’éternité.

Réaliser au-dedans de soi, c’est réaliser dans le ciel. Car le ciel et là : au-dedans de nous...

Et il n’y a qu’un ciel comme il n’y a qu’un Dieu.

Qu’un ciel commun à tous les hommes, comme Dieu.

Nous avons parlé il y a quelques instants (**) d’un moyen --à mon sentiment le meilleur -- de parvenir à cet accomplissement de soi en soi. Le moyen même de Jésus : la joie... N’a-t-il pas dit : « je souhaite que la joie soit en vous » ?

Des moyens

Mais il est d’autres moyens, que la plupart des hommes sont enclins à juger meilleurs du fait que l’on en parle plus souvent. Il y a la dévotion, la prière, la concentration, la méditation, etc., toutes choses que chacun pense connaître. Puis il y a la discrimination, le rappel de soi, la présence totale etc., et rien n’empêche que l’on s’évertue en ces différentes voies. Elles ne s’opposent en aucune manière. Toutes vont vers le même sommet. Et ce que l’on apprend ou découvre en l’une sert à mieux avancer, plus vite et plus sûrement, en importe laquelle des autres...

La voie unitiste - rosicrucienne, celle que nous suivons, implique discrimination, le rappel de soi et présence totale. Elle implique également lucidité et connaissance de soi au sens initiatique du terme, à savoir : connaissance de son fonctionnement réel, de sa position en l’univers et perception directe, expérimentale, de son essence et de sa possibilité d’auto divinisation.

Il y a en toi la graine d’un Dieu, enseignaient les anciens dans les sanctuaires. Et tu es le seul à même d’en tirer germination, pousse, plant, feuilles, fleurs et fruits...

Il se peut qu’un jour te soit révélé, ami qui chemine à mon côté, le secret de la seule façon efficace et fécondante de respirer. Cela ne dépend pas de moi. Il faudra d’abord que tu le demandes, et ensuite, que tu écoutes dévotieusement celui qui te parlera. Toutes choses alors te seront facilitées. Mais, si ce secret ne t’est jamais révélé, ne te désespère en rien. Tu auras un plus gros effort à fournir, voilà tout. Mais rien au monde ne pourra t’empêcher d’arriver au but si tu as assez de volonté, de courage et de passion pour Dieu. Dieu aime les violents. Plus exactement : Dieu s’aime en ceux qui l’aiment avec violence.

Si nous ne sommes ici que pour vivre et mourir bien gentiment et bien honnêtement, autant ne pas y être. Ce qu’il faut au cours de ce passage, c’est prendre conscience de l’Esprit, s’y agripper de vive force et s’emparer de l’Eternité comme d’un bastion.

De la connaissance de soi

Nous parlerons plus loin de la joie et des moyens de la connaître d’abord, ne fût-ce que le temps d’un éclair, puis de l’agripper, de s’y pendre et de la fixer en soi, ou plutôt, de s’établir en elle comme en un climat... Il convient d’abord que nous parlions des moyens de nous connaître nous-mêmes, en notre vraie réalité, et par suite, de nous prendre en main et de nous maîtriser...

Sois attentif, ami qui chemines mon côté, sois attentif à ma voix, et surtout, aux voix qui vont te parler au travers de la mienne. Ces sortes de choses, ce n’est jamais un homme seul qui les dit. Il y a toujours une longue, longue lignée d’adeptes derrière lui. C’est à la voix des siècles, en vérité, qu’il faut tendre l’oreille.

A la voix des siècles qui parle en toi, pour toi et par toi. C’est toi qui dois parler plus que moi, et mieux... Ecoute, Ecoute toi parler au fond de toi-même :

« j’ai le sentiment de penser, juger, décider, vouloir ou agir librement, de mon seul chef, en être parfaitement conscient et autonome.

Il n’en est rien.

Je suis victime, à cet égard, d’une illusion dont je dois absolument triompher si je veux accéder à une liberté réelle.

En mon état actuel, je suis entièrement « agi » et « pensé », ou si l’on préfère : conditionné et assujetti, vassalisé...

Vassalisé par qui ? Ou par quoi ?

Ce qui est important, pour l’instant, ce n’est pas de savoir par qui ou par quoi, mais comment !

 

De savoir comment il se peut que j’en sois réduit à cet état, par quels sortilèges ou mécanismes, par quels liens ou maléfices.

Si j’ai une chance de me libérer, elle est là et ne saurait être que là. Le prisonnier qui prétend gagner le large doit commencer par étudier sa prison et ses chaînes. Il envisagera par la suite, s’il y a lieu, la question de régler ses comptes avec le responsable de son internement.

 

De l’observation de soi

 

Donc, je veux et dois connaître ces mécanismes à tout prix, pour les connaître d’abord, pour les contrôler ensuite, pour les dominer finalement.

Comment vais-je m’y prendre ? Un seul moyen de toute évidence, m’est offert : en observer le fonctionnement.

 

Autrement dit : observer les hommes en commençant par moi-même. Mais observer réellement, objectivement, sans préjugé favorable ou sympathie d’espèce, exactement comme un entomologiste observe les insectes, pour savoir... Observer, en somme, comme je n’ai jamais observé...

 

Car je ne me suis jamais observé ni n’ai jamais observé personne. Pourquoi ?

Tout simplement parce que j’ai passé ma vie à me parler, à dire « moi je... » Et à laisser complaisamment tintinnabuler, pour en répandre le bruit à l’extérieur, les troupeaux de grelots qui s’agitent dans ma tête.

 

Un repentir est nécessaire au sens grec du mot (métanoïa), c’est-à-dire un retournement complet et radical...

Je m’engage donc, vis-à-vis de moi-même et à partir de la présente minute :

à ne plus parler de ma personne, décrire mes états d’âme, ou étaler mes sentiments...

Bref, à ne plus assourdir mon prochain de ce qui ne regarde que moi et ne l’intéresse d’ailleurs en rien, sauf bien entendu, s’il y trouve matière à ragoter.

 

Je ne veux plus être, sauf pour satisfaire à mes obligations et ne point me singulariser (ou à l’occasion, en présence d’un conseiller ou d’un médecin) qu’un homme « qui regarde »

Qui regarde et qui s’efforce de tout comprendre de ce qui se passe en lui et hors de lui, qui regarde « avec recul », comme un spectateur au théâtre, ne devenant acteur que délibérément, dans des buts précis, et non du fait d’impulsions, de réflexes ou de besoins d’agitation et de parade du fameux et grotesque « moi je... »

 

Les engagements

 

Je répète mon engagement :

« A dater de la présente minute -- je dis « à dater », car c’est bien d’une date qu’il s’agit -- je n’ouvre plus la bouche, concernant ma personne, sans en posséder une bonne est pertinente raison.

Je résume :

« A dater de la minute que voici, je ne parle pratiquement plus de moi... À mon moi je, à tous mes moi je, car ils sont nombreux de ceux de mes vanités à ceux de mes prétentions, je dis :

« Assez de bruit et de dégâts ! À la niche !...

 Il se peut que l’un de ces moi me dise, gémissant ou ricanant :

--« Sais tu bien ce que tu fais là ? De semblables engagements sont très faciles à prendre. Mais à tenir ?

Souhaitons qu’alors un autre moi intervienne : « Si telle difficulté est comme une montagne, sois ingénieur et construis une route ou perce un tunnel. Si telle autre difficulté est comme un tigre, prends une cravache et fais toi dompteur…»

Impossible, dis-tu ? Tu manques de capacités, de force, de courage ?... Eh ! bien, pauvre vieux, tant pis. Allonge-toi dans la poussière et attends ces messieurs de la voirie. Ils t’emporteront là où tu dois être. Ils t’emporteront là où ta place déjà marquée sans que tu le saches...

 

Il se peut également qu’un autre de tous ces moi ait dit :

-- « Ce sera difficile, sans doute très difficile. Et nous retomberons souvent dans nos erreurs... Mais justement, nos chutes nous réveilleront. Et qu’importe de tomber si l’on se redresse aussitôt ?

Et un autre encore, un bon celui-là, car tous ne sont pas mauvais : « Donnons nous patience... Nous ne tarderons pas à sentir vivre en nous une puissance qui nous aidera...

 

Mais reprenons notre petite histoire du « moi je ». Nous n’en avons pas terminé : pourquoi parle-t-on de soi le plus souvent ? Pour se vanter, pour se faire valoir, admirer ou plaindre... Neuf fois sur dix, d’ailleurs, on ne réussit qu’à provoquer la moquerie. Et c’est tant mieux. Car ce qui est grave, lorsqu’on s’évertue de la sorte à éveiller l’envie... -- c’est bien cela que l’on souhaite, n’est-ce pas ? Briller, rendre jaloux, écraser autrui des supériorités ou des avantages que l’on s’attribue... -- ce qui est grave, en ce cas, disons-nous, c’est de réussir.

 

Faire un envieux ! Faire des envieux ! Le « moi je » au fond, tout au fond, ne rêve que de cela. Et rien n’est plus affreux, plus vil et plus bas. Il y a là un des plus atroces besoins de l’homme, l’un de ceux dont il résulte le plus de mal. Provoquer l’envie, c’est provoquer la jalousie et la haine, la vengeance, le crime... Or, tout ce qui attire le crime n’est-il pas criminel ?

Je m’engage donc, vis-à-vis de moi-même, à ne jamais commettre ce crime, c’est-à-dire à ne jamais me laisser aller à quoi que ce soit, en acte ou en parole, qui puisse susciter l’envie.

À dater de maintenant, libéré par mon double engagement de ces grotesques ou diaboliques servitudes qui, chaque jour, me coûtaient un temps précieux et une énergie considérable, me voici en mesure et en position d’assister effectivement, en spectateur lucide, en spectateur capable de voir et d’entendre, à la comédie que les hommes ne cessent de se donner. Et de la comprendre enfin, cette comédie qui devient si souvent une farce, de la juger, de plus en être la dupe ou le dindon.

Ceci, également, aidera à prendre du champ, à « se tenir en mains » et à observer : « Ne jamais répondre à une question, même banale, sans avoir compté mentalement jusqu’à 3 ».

Mais voici qui est plus grave et doit figurer à la liste des engagements : « une fois par heure au moins, je marquerai en moi un temps d’arrêt, ne fût-ce que de cinq ou dix secondes et, dans un profond recueillement, car rien n’empêche qu’un recueillement soit aussi profond que bref :

 

1 -- Je prendrai conscience de mon être physique et mental, je m’éprouverai, je me sentirai, je me percevrai intérieurement aussi bien quant à mes veines qu’au sang qui circule dans mes veines, quant à mes muscles et mes nerfs qu’aux énergies qui circulent en eux, quant à mes yeux et à leur capacité de voir, quant à mes oreilles et à leur capacité d’entendre, quant à mes mains et à leur capacité de toucher et de prendre, quant à ma machinerie mentale et aux pensées qui l’animent ou qu’elle malaxe etc.

 

2 -- Je me dirai intérieurement en outre : « je me tiens en mains et suis parfaitement possession de moi-même, de cet être qui est à moi, sent, voit, sait ou croit savoir, pensent ou croit penser etc., et tout se passe, pour moi, à partir de cet être, à partir du centre que cet être constitue en l’univers... »

 

Voir un objet ou entendre un son, fort bien. Nous faisons cela tous les jours. Mais un objet n’est réellement vu et un son n’est réellement entendu que par celui qui se perçoit en même temps que l’objet ou le son, mieux : que par celui qui se pose d’abord et qui, s’étant posé, demeure présent à lui-même. Si l’on n’est pas présent à soi-même on ne peut être réellement présent à rien.

 

La conscience de soi

 

Autrement dit : on ne peut être réellement conscient des choses que dans la mesure où l’on est d’abord conscient de soi. Celui qui voit sans savoir, sans réaliser positivement qu’il voit, ne voit pas complètement. Les choses passent devant lui, allument des reflets qui s’effacent aussitôt, comme la lentille d’une caméra sans pellicule. Cela s’en va comme une fumée ou comme un songe. Rien ne peut se fixer...

 Parfait. Je m'efforcerai de me souvenir de moi-même et d'être présent... Mais comment vais-je prendre suffisamment conscience de ma mécanicité ? Autrement dit : comment et selon quelle méthode vais-je pouvoir m'observer utilement ? Je dois tout d'abord me rendre compte de la façon dont un homme est fabriqué. En gros, voici :

« Un sac dans lequel il y a un peu de tout, est beaucoup plus de mauvais que de bon : avidité, jalousie, tendresse, hargne, peur, souvenirs, sexualité, refoulements et complexes, préjugés, hantise, etc. etc., et le tout sans cesse ni répit, même pendant le sommeil, brassé et malaxé par la vie au hasard des sollicitations intérieures ou extérieures, des occasions, des circonstances, des enchaînements d'idées ou de mots, des réflexes sentimentaux ou sensoriels etc. etc. un croquis m'aidera...


 

Voilà notre sac mis à plat. C'est cela, un homme, chacun pouvant à loisir modifier ce croquis -- en augmentant ou en diminuant l'importance des cases -- de façon à en faire son propre portrait... Au centre, le lieu de l'équilibre, de l'harmonie, du calme, de la maîtrise et de la joie, le lieu de contact avec le Principe.

 

C'est en ce lieu que devrait toujours se trouver le « moi ». Mais il ne s'y trouve justement jamais...

 Par exemple : je me réveille d'humeur morose...

 Est-ce le foie ? La pression atmosphérique ? Une grippe qui commence ? Une seule chose est certaine : ce qui me paraissait hier soir encore riant ou véniel me paraît ce matin sombre et redoutable. J'étais optimiste et plein d'allant. Me voici pessimiste et timoré. L'avenir m'inquiète. Tant pis pour le camarade à qui j'ai promis de remettre une petite somme dont il a besoin. Je trouverais un prétexte pour lui faire faux bond... Quant à la femme que j'aime, elle peut me reparler du manteau dont elle a envie. Ce n'est pas demain que je le lui offrirai...

 

Mais voici le courrier. Il y a une lettre de la femme que j'aime. J'ai tout de suite reconnu son écriture. Mais pourquoi m'écrie-t-elle, au fait, au lieu de me téléphoner ? .... Hein, quoi ? Tout mon corps tremble. Je lis, hébété : « je sais que je vais te faire beaucoup de peine, mais je ne suis pas de celles qui mentent et qui peuvent partager leur coeur entre deux amours, etc.… Je suis comme un fou. Je l'appelle au téléphone sans obtenir de réponse. Que faire ? Je vais précipiter chez elle, évidemment, la supplier, la menacer, tout tenter pour la reprendre... Peut-être que si je lui avais offert tout de suite ce manteau... Ah l'imbécile que j'ai été. Mais je lui en offrirai dix, vingt

 Cependant une image est là, devant les yeux, celle d'un homme sans visage... Mon rival, celui qui me l'a enlevée... Mes dents se serrent, les muscles de mes mains se crispent... S'il était là, cet homme, je me jetterai sur lui, ivre du besoin de tuer...

Je suis sorti de chez moi, j'ai pris un taxi et donné l'adresse de l'infidèle... On verra bien ce qui se passera ! S'il le faut, j'enfoncerai la porte. Et s'il est là, ce salaud !...

Soudain, une image plus précise s'impose à mon esprit... Une espèce de mastodonte, genre Superman : dans les 120 kilos au moins, tout en muscles. Si c'était lui ? Il n'y a pas huit jours, j'ai surpris un clin d'œil et j'ai eu l'impression qu'il y avait quelque chose entre cette brute et... Et... Et cette fille que je ne sais plus comment qualifier. J'interpelle le chauffeur de taxi : « vous passerez devant l'immeuble dont je vous ai donné l'adresse, tout doucement, mais sans vous arrêter. Après nous verrons... »

 

Des personnages

 

N'allons pas plus loin. En voilà assez pour que je puisse procéder à quelques petites mais significatives constatations :

d'un jour à l'autre, d'une minute à l'autre, je n'ai absolument pas été le même personnage... L'optimiste a fait place au pessimiste et le compatissant à l'égoïste. Le jaloux est venu ensuite, puis le haineux, meurtrier en puissance. Enfin le poltron... Et n'en est-il pas toujours ainsi, automatiquement, mécaniquement, aussi bien pour les plus grandes que pour les plus petites choses ? Mon moi est comme une bille qui, au gré des circonstances ou des hasards, passe de case en case, de godet en godet, déclenchant le fonctionnement de telle ou telle série de rouages que je ne contrôle pas...

 

Telle série fonctionne un certain temps. Puis, du fait d'une sollicitation extérieure, du déclenchement d'un souvenir dans l'inconscient de ma mémoire visuelle ou motrice, à moins que ce ne soit du fait d'un tiraillement d'estomac ou d'une piqûre de puce, c'est une autre série qui se met en mouvement est un autre personnage tient le tréteau... Un autre personnage qui n'aura rien de commun avec le précédent, sauf, bien entendu, de se prendre ridiculement au sérieux et de se tenir pour le vrai, le bon, le définitif, le seul...

 

Quoi qu'il arrive, que je sois l'égoïste, ou le médisant, je me trouve toujours très bien et je pense immanquablement avoir raison. Je ne conçois pas, sur le moment, que je puisse être différent de ce que je suis à ce moment-là. Je suis entièrement et uniquement le pantin du godet où l'impondérable a fait tomber la bille... Je ne vois pas plus loin que le bout de ma case. Je suis encerclé...

 

 Je suis sincère, également. Affreusement sincère, car ma sincérité est exactement comparable à celle du sujet qui, sous l'action d'un hypnotiseur, déclare manger du sucre alors qu'il mange du citron.

 

Mon assujettissement aux impondérables est tel que, même lorsque je soutiens un raisonnement d'ordre mathématique, je ne suis pas maître de ce qui se passe en mon esprit. S'il m'arrive d'avoir à démontrer dix fois de suite le même théorème, dix fois de suite je constaterai la venue, sous mon front, d'idées sans aucun rapport avec mon raisonnement, ni avec quoi que ce soit de logiquement décelable. Une fois je penserai à ma concierge, aux chiens de Jean de Nivelle, à une image de Chicago, au vase de Soissons, etc. ... Des choses passent en moi, ou plus exactement, se font et se défont sans que je sache pourquoi ni comment, dans les personnages successifs que je suis également sans bien savoir pourquoi ni comment...

 

Il y a des changements et des passages, voilà tout ce que je puis dire de certain. Des déclenchements et des déclics, des disques qui se mettent à tourner, des clichés qui s'imposent un instant, puis s'effacent. Associations, assonances, oppositions, réflexes... Lampes qui s'allument ou qui s'éteignent.

Feux follets, lucioles, électronisme, cybernétique... Est-ce bien moi tout cela ? Moi, ce carrefour de hasards ? Cette farandole ? Cette mascarade, ce cirque ?... Un tourbillon de poussière qui naît d’un coup de vent et qu'un autre coup de vent disperse...

 

Je me perçois néanmoins avec une espèce de continuité. Je me vois dans le passé et me projette dans l'avenir, de même que j'éprouve dans le présent, comme une entité constante, cohérente, homogène, continue, autonome et libre ! Or, de tous ces personnages successifs -- si successifs que je pourrais dire : de tous ces inconnus -- quel est le bon, le vrai ? L'envieux ou le jaloux ? Le couard ou l'audacieux ? Le timoré ou l'inconscient ?

 

Tout homme possède sa formule et ses dosages. Celui-ci est mieux pourvu en sexualité ou en violence et cet autre en douceur ou en hypocrisie. Mais qui est en chacun d'eux, qui est en chacun de nous le personnage central et responsable, celui qui peut dire : « je tiens tous mes collègues en main, nul n'échappe à mon contrôle et tous m'obéissent ou m'obéiront ? »

 

De la conscience

 

Eh bien, un homme ne commence à exister qu'à partir du moment où se lève en lui un personnage de cette espèce, un personnage qui s'installe au centre et dit : « ne trouvez-vous pas que tout cela est assez dégoûtant et que nous ferions bien de nettoyer notre ménagerie et d'y mettre un peu d'ordre ?

 

Ce personnage peut être brutal, se munir d'une cravache et se comporter en belluaire. Mais ce n'est pas utile. Il suffit qu'il sache se placer au centre, dans la zone de calme et d'équilibre qui est aussi la zone de lucidité. De là, on voit. Et à celui qui s'y trouve, l'autorité vient d'elle-même, avec la sagesse, envoyé par le principe...

 

Y a-t-il en moi personnage capable de tenir cet emploi et de jouer ce rôle ? Oui, sans doute, celui qui a compris de quelle comédie je suis le théâtre, celui qui souhaite douceur et paix, tendresse, sérénité, et qui saura préférer la joie qui dure et vivifie comme l'air des cimes aux plaisirs qui épuisent et désagrègent comme les mauvais alcools et la puanteur des bouges.

 

Celui-là saura surveiller et contrôler la foule des moi ravageurs et farfelus, démoniaques ou ridicules, criminels ou obscènes. Il saura chasser les grotesques, les perroquets et les singes, il saura tenir les fauves en respect, détruire les insectes et la vermine, éloigner tout ce qui rampe ou grouille et faire la place nette pour ceux qui sont eux aussi avides de joie et de pureté...

 

Ce qu'il faut bien voir d'abord, c'est ceci : l'homme est une machine. Et la plupart des hommes vivent ainsi, comme des machines, inconscients et irresponsables, incapables par complexion de se rendre compte du fait qu'ils ne sont que des machines. Ils se prennent pour des hommes, soit. On leur a dit qu'ils étaient cela. Ils le croient et vivent dans cette croyance, tant bien que mal, comme ils vivraient en n'importe quelle autre. Mais ils n'ont pas d'âme véritable. Ce sont des concepts purement mentaux, sans lien avec le spirituel, qui leur en tiennent lieu. De simples automates. Ils relèvent d'une quelconque cybernétique, mais pas de Dieu. Pas encore. En relèveront-ils jamais ?

 

Quelques-unes de ces machines possèdent dès leur naissance, ou reçoivent à un moment donné, ce qui revient au même, la possibilité de se rendre compte de leur état de machine et, par conséquent, de dépasser cet état pour accéder à un état supérieur. Ceux-là sont des appelés. Il leur appartient de devenir des élus, c'est-à-dire des hommes véritables, des éveillés.

 

Tout commence donc à cette prise de conscience de soi en tant que machines susceptibles de plus être une machine... Voilà la chance qui nous est donnée, amis qui cheminez à mes côtés ! Combien parmi nous sauront en profiter ? Combien ?

 

Ce qu'il faut bien voir ensuite, c'est ceci : il suffit, pour profiter de cette chance de ne plus vivre que pour s'ancrer, chaque jour plus solidement, en cette capacité de s'observer par quoi, peu à peu ou très vite, mais automatiquement, l'on se trouvera à la fois poussé vers son propre centre et aspiré par lui...

 

Écoutez une vieille supplication :

« une goutte de toi est en moi, Seigneur ! Fait qu'elle s'unisse à ton océan. Délivre la de l'argile du corps. Que cette argile ne la boive ou que le vent ne la dissolve dans l'espace... Délivre la, Seigneur, délivre la ! » .

 

Goutte de connaissance ou de lumière !

La voyez-vous, semblable à une étoile au-dessus de nos têtes ? D'aucuns l'appellent « le témoin ou le vigilant ». Elle est là, dans le ciel des appelés, toujours présente et perceptible. Il n'est que d'accueillir le plus possible de sa lumière et de se laisser guider par elle, par cette lumière qui montre ce que sont les choses, qui fait apparaître le réel au travers de l'illusoire et conduit à ce qui dure par-delà ce qui s'écoule et passe.

 

Nul besoin de jeûnes ou de macérations. Il suffit d'ouvrir les yeux, d'observer et de comprendre. Le cheminement s'effectue de lui-même vers la vérité, et c'est la vérité clairement perçue qui libère... Voulez-vous que nous disions les choses autrement ?

Voici :

il n'y a qu'une conscience en ce monde, et c'est la conscience de Dieu. Il s'en trouve en chaque homme une parcelle. Mais cette parcelle est comme séparée de l'ensemble par un voile : celui de l'ignorance. Si bien que chaque parcelle de conscience se croit individuelle. Et la vérité apparaît dans la mesure où le voile s'amenuise et perd de son épaisseur pour se révéler complètement lorsque le voile tombe tout à fait.

 

Des Engagements (suite)

 

Est assez simple ? Tout ce qui est de Dieu est simple. C'est ce qui est de l'humain qui est compliqué...

Mais ici, un nouvel engagement doit être pris, -- qui s'ajoutera à ceux :

-de ne jamais parler de soi,

-de compter mentalement jusqu'à trois avant de formuler une réponse,

-de ne jamais courir le risque de provoquer l'envie de qui que ce soit,

-de prendre conscience de soi-même au moins une fois par heure en s'éprouvant du mental au physique...

 

Voici :

ayant fait de moi-même un portrait inspiré du schéma figurant page 22, portrait que je modifierais chaque fois que se modifieront en moi les dosages d'avidité, de sexualité, d'égoïsme etc. etc. je passerai chaque soir un quart d'heure à m’examiner intérieurement en fonction de mes cases ou godets, revivant mon moi en ses multiples zigzags de la journée et m'attachant à déterminer s'il a ou non progressé vers le centre.

 

Ces cinq engagements, qui ne seront suivis que d'un seul autre en cette voie, peuvent paraître bien minces et bénins en regard de l'immensité du but poursuivi et des subtilités que comportent les autres voies. Ils ne sont cependant ni bénins ni minces. Ils ne sont que simples, et pour cette raison sans doute, possèdent de multiples vertus et peuvent conduire fort loin celui qui sait les observer avec une paisible constance et une douce rigueur...

 

LA JOIE

 

Or, dans la mesure où l'on approche du centre, quelque chose s'empare du coeur et l'épanouit : la joie.

Mais entend bien ceci, ami : si tu chemines vers le centre sans te soucier de la joie, je veux dire : sans la rechercher systématiquement, elle est là tout de même qui t'enveloppe et t'emplit.

 

Et à l'opposé, si tu recherches la joie pour la joie, sans te préoccuper du cheminement, et si tu la trouves, le cheminement s'effectue tout de même.

Cheminement fait joie et joie fait cheminement...

Que cheminement fasse joie, voilà qui ne sera discuté par personne, puisque cheminer vers le centre consiste en gains d'harmonie, d'équilibre, de calme et de sérénité. Solidement tenue en main, la foule des moi s'apaise. Plus de cri ni de tiraillements, chacun a déposé des armes... Comment la joie ne serait-elle pas là ?

 

Mais que joie fasse cheminement, autrement dit : que la joie soit à même de faire ce qui la fait et de produire ce dont elle provient, voilà que certains -- justement ceux qui en ont le plus besoin -- n'admettront pas sans beaucoup de peine. Telle est cependant la vérité. La vérité qui a permis de dire les plus grandes et hautes paroles du monde :

 « Trouvez le royaume de Dieu et son harmonie et tout le reste vous viendra par surcroît ».

 Toutefois, que l'on veuille bien réfléchir à ceci : voici un homme content d'être content, sans plus, heureux d'être heureux, joyeux d'être joyeux, tout simplement et tout bêtement, parce que passe en lui comme un courant inconditionné de contentement, de bonheur ou de joie. Eh bien, peut-il être méchant, cet homme, ou agressif, ou jaloux, ou envieux ?

Qu'il ait été envieux ou méchant et qu'il le redevienne après, soit. Mais pendant ? Voilà qui est impossible. Pendant, il ne peut être que semblable « à un tout petit enfant ».

 

Du bonheur

 

La seule recherche de l'homme, en définitive -- comme de tous les êtres d'ailleurs -- est la recherche du bonheur. Et rien n'est plus légitime. Mais pourquoi rechercher le bonheur à l'extérieur, au travers des plaisirs, des satisfactions de vanité, de préséance, de conquête ou de domination ? Que peut il en résulter, sinon des tourbillons et des conflits, des déchaînements de chocs ou de heurts, des tempêtes d'effrois ou de larmes ?

 

Autre chose est de rechercher le bonheur à l'intérieur, directement, au travers de la joie inconditionnée. Qu'un peu de joie arrive de cette manière, et c'est immédiatement comme une coulée d'huile sur des vagues en furie.

Pourquoi ne jamais chercher le bonheur où il est et toujours le chercher où il n'est pas ?

 

Si ton bonheur résulte des circonstances -- même si tu as tout fait pour le mériter et qu'aucun bonheur ne soit plus légitime à la face de Dieu et des hommes -- il n'est pas le vrai bonheur et s'effondrera bientôt. Les circonstances se succèdent, hasardeuses et fugitives comme les occasions. Et ce que les unes apportent les autres ne tarderont jamais à l'emporter. Fonder sur elles équivaut à fonder sur le vent... Mais si tu fondes sur la joie pour bâtir dans la joie en prenant la joie comme matériau, là alors, tu fondes sur le roc et bâtis dans l'éternité...

 

Ne dis pas que je parle en moraliste de patronage. Je serais obligé d'en conclure que tu ne peux rien comprendre et que ce que tu crois savoir t'empêchera toujours de voir ce que tu pourrais constater, de percevoir ce que tu pourrais apprendre et de saisir ce dont tu pourrais le plus largement tiré profit.

 

La nature de la Joie

 

Or, ce qu'il faut bien voir, percevoir et saisir, ce dont il faut bien se convaincre, c'est de ceci : la joie n'est pas une résultante ou une conséquence, quelque chose qui naît d'une conjonction ou d'une conjugaison de circonstances ou de hasards. Elle est un élément spécifique et préexistant, comme le feu par exemple, elle est une essence et une immanence, une vibration, une irradiation cosmique qu'il convient de rechercher et de capter comme telle, en toute simplicité, par les moyens qui nous sont offerts...

 

Percevoir

 

Lesquels moyens sont extrêmement variés mais aussi, et c'est ce qui en fait la difficulté, extraordinairement simples. Nous sommes à ce point pervertis par nos besoins de complications que nous allons toujours chercher au-delà de ce qu'ils sont. Nous voulons faire quelque chose par nous-mêmes, créer, conquérir, alors que tout le secret est d'accepter ce qui est déjà là entre nos mains. Dis-toi bien ami, que tu n'as pas à fabriquer, ta joie, que tu n'as pas à la produire. Dis-toi bien qu'elle est là, dans l'atmosphère qui t'enveloppe, dans l'air que tu respires, et que tout le problème est de constater le fait en le vivant et en te rendant sensible et perméable à sa réalité.

 

Bien que l'on y porte généralement aucune attention, le son intérieur -- ce bruissement que l'on perçoit lorsqu'on se bouche les oreilles -- est toujours là, présent en nous. De même la joie.

Or, si tu le veux, tu peux si bien te sensibiliser au son intérieur que tu le percevras même au milieu d'une tempête ou d'une bataille. De même pour la joie...

Mieux encore pour la joie que pour le son intérieur. Car il existe en l'homme, au niveau du coeur, -- tous les grands mystiques en témoignent -- un organe destiné à la « détection » et « à l'absorption » de cet « éther d'éther », de ce « souffle de souffle »... Un organe précis, localisable, qui fonctionne en chaque être plus souvent que l'on ne le croit : mais si brièvement et si fortuitement que fort rares sont ceux qui en prennent spontanément conscience.

 

Mais demeurons aux étages communs et disons : tout homme dispose, indépendamment de ses facultés de voir, d'entendre, de comprendre certaines choses, de raisonner etc. etc., d'une autre faculté, aussi positive mais bien plus merveilleuse encore, celle de s'ouvrir à l'immense effusion de joie éternellement vivante en l'univers...

La maxime de base est celle-ci : « trouve un peu de joie et tu seras porté par cette joie vers beaucoup plus de joie »...

Il se peut que certains s'écrient, à supposer qu'ils admettent que la chose soit possible : « se vouloir heureux de la sorte, systématiquement, alors que tant de gens sont malheureux ! Mais c'est abominable ! On n'en a pas le droit ! »...

On en a même le devoir, exactement comme dans le devoir de bien se porter, ne fût-ce que pour satisfaire à d'utiles labeurs. Et les gens malheureux sont, le plus souvent, des malades qui ne veulent rien faire pour s'arracher au mal : « nous ne pouvons pas ! » Gémissent-t-ils... Peut-être pourront-ils si l'exemple leur est donné.

 

Oui, même si tout souffre et gémit autour de toi, efforce de toi d'être heureux, heureux de joie sereine, heureux du bonheur qui vient d'en haut ou du dedans, par la joie, et non d'en bas ou du dehors, par le plaisir. Et si tu y parviens, à ce bonheur, soit sans trouble ni regret, sans scrupule ni remords. Redeviens enfant, en somme. Et si je te dis que tu en as le droit et même le devoir, c'est parce qu'ainsi ton âme se clarifiera, et avec elle, l'âme du monde.

 

Des moyens (encore)

 

Or donc, voyons à ces moyens... Mais d'abord, qu'une ou deux observations complémentaires nous soient permises. on dit d'un homme généralement joyeux : « Il est comme ça, c'est son tempérament ». Et ceci n’explique rien... Ce qu'il faut dire, le voici : « Cet homme est joyeux parce que du fait de sa complexion ou d'un certain effort accompli sur lui-même, il est plus apte, plus habile, plus attentif ou mieux entraîné que la plupart de ses semblables à « drainer » la joie en dilution dans l'espace. Il a su s'accorder à la vibration et se brancher sur l'onde. Le courant passe en lui. Et c'est là ce que chacun peut et doit faire.

 

Que de temps à autre nous ayons l'air de faire la morale, voilà qui n'est pas douteux. Mais nous n'en avons que l'air. Notre souci n'est pas d'endoctriner et nous ne prêchons pas davantage, que nous ne prêchions auparavant, lorsque nous constations la nécessité d'obéir aux lois afin de n'être point broyé. Nous parlions bon sens et intérêt. Nous disions en somme : « soyons assez malins pour ne pas courir tel ou tel risque ». Et maintenant, que disions-nous ? La même chose, mais à l'inverse : « soyons assez lucides et positifs pour ne pas méconnaître certaines de nos prédispositions ou facultés, et assez malins pour ne pas négliger d'en tirer tous les avantages qu'elles supposent ».

 

Quant aux moyens, un vieil hésychaste, par exemple écrivait : «... Appuyant ton menton sur ta poitrine et tournant l'oeil corporel avec tout l'esprit sur le nombril, ralentis légèrement le rythme de ta respiration et explore mentalement le dedans de toi pour y trouver la place du coeur ou aiment à fréquenter les puissances de l'âme...

Au début tu te trouveras que ténèbres, mais en pratiquant avec persévérance, tu trouveras, ô merveilles, une félicité sans bornes...

 

 Sitôt que l'esprit trouve le lieu du coeur, il aperçoit ce qu'il n'avait jamais vu. Il se voit lui-même tout entier, plein de lumière et de discernement...

Il est singulièrement aisé, par ce moyen, d'entrer « en vie intérieure » et d'accéder aux états méditatifs. Quant aux états de félicité, ils apparaissent d'autant plus vite et plus sûrement que l'on se replie davantage sur soi-même et que l'on se remémore avec plus de douceur, dès que l'on éprouve un certain engourdissement, l'un ou l'autre des instants de pureté, d'allégresse ou de dépassement que l'on a connu au cours de son existence...

 

Revivre

 

C'est peut-être un souvenir d'amour ou de montagne, un souvenir de pardon reçu ou donné, de bonté ou de beauté, d'art ou de découverte, d'abandon ou d'offrande, de gratitude ou même de conquête, peu importe pourvu qu'il soit pur et clair, pourvu qu'il relève uniquement de l'âme et du coeur.

 

Est-il tellement difficile de revivre et faire revivre en soi un souvenir de cette espèce ? Assurément non. Un peu d'imagination, de celle qu'on utilise pour évoquer, c'est-à-dire pour recréer sinon pour créer, et le but sera promptement atteint. À défaut de retrouver la joie initiale dans toute sa plénitude et sa fraîcheur, on en retrouvera, avec un peu d'habitude, un fort large et vivant écho...

 

Il ne sera plus, dès lors, que de se complaire en cette joie ressuscitée. De s'y complaire longuement. De la savourer, et même, si faire se peut, de s'y vautrer et de s'en enivrer.

Or ce qu'il faut surtout, c'est prendre intensément conscience de cette joie, l'éprouver de tout son être, même charnellement et l'examiner en outre de toute son attention, comme une chose dont on veut se souvenir toujours.

 

 Mais, que l'on y prenne bien garde, ce qu'il faut encore, c'est isoler cette joie de ce qui en fût l'occasion, c'est la fixer dans sa mémoire en tant que pure et simple perception, en tant que simple et pure sensation, exactement comme si elle n'avait point eu de cause...

Est-ce une femme qui t'a donné la joie dont tu te souviens ? Oublie la femme, chasse la de ton esprit. Mais retient la sensation.

 

N'agis pas autrement s'il s'agit d'une bonne action, d'un paysage ou d'une symphonie. Oublier les occasions et les causes mais retenir le résultat, voilà le grand secret.

Il n'est plus nécessaire alors, pour appeler la joie à soi, de se souvenir d'une ascension ou d'un baiser, il suffit de se souvenir de la joie. De la joie seule...

Et crois-moi, ami : il n'en faut pas davantage. Chaque fois que tu te souviendras de la joie ainsi, la joie sera là, aux portes de ton coeur, qu'il te suffira d'ouvrir un peu pour qu'elle entre beaucoup...

 

Or, la joie ainsi conçue et appréhendée, n'est autre que la joie du ciel ou du royaume. Elle est le royaume même. Et si grâce à elle « tout le reste vient par surcroît », c'est parce que celui qui sait la trouver, qui sait la vivre et se laisser vivre par elle, est pris en charge par le divin qui peu à peu -- dans la mesure où il maintient le contact -- le libère de l'humain...

 

Je dois maintenant que dire quelques petites choses qui, sans doute, de paraîtront difficilement admissibles au début mais dont tu ne tarderas pas à constater l'indiscutable exactitude...

 

Le bonheur est un état.

 

Un état qui résulte, en celui qui en bénéficie, du passage d'un courant. Ou plus exactement, de la perception ou de la conscience du passage d'un courant que nous appellerons : courant joie.

Or les choses se passent comme si le passage de ce courant faisait vibrer en l'homme une corde particulière que nous appellerons : corde de la sensation. Et, des vibrations de cette corde résultent l'agrément ou le désagrément, le plaisir ou la douleur, le bonheur ou le malheur etc....

 

Eprouves tu une joie d'amoureux, d'inventeur, d'artiste, de grimpeur ou de belle âme qui pardonne ? C'est toujours en toi la même corde qui vibre. Car il n'y a qu'une seule corde comme il n'y a un seul courant...

Regarde cet amoureux qui est amoureux pour la 20e fois en dix ans. Et écoute le te dire, parlant de sa dernière conquête : « c'est la femme de ma vie... » Vingt fois déjà il t'a tenu le même langage, et il est sincère. Il croit qu'un nouvel amour entre en lui chaque fois qu'il trouve une nouvelle maîtresse, que ce nouvel amour est le bon, le vrai, le définitif.

 

Il ne voit pas qu'il est amoureux, non d'une femme mais de l'amour, et que chacune de celles qu'il aima ne fut pour lui que l'occasion de sentir vibrer la corde et passer le courant. Il ne voit pas que brunes ou blondes ne lui apportèrent jamais rien qu'il ne possédât déjà et ne firent que se succéder à l'entretien du feu, comme des Vestales. L'une soufflait d'une façon, et l'autre d'une autre... Mais toutes soufflaient sur le même foyer.

 

Nous prenons l'occasion pour la chose et le prétexte pour la réalité, voilà notre erreur. La femme nous révèle l'amour, c'est-à-dire notre faculté de sentir vibrer la corde et passer le courant. Mais elle ne crée pas davantage cette faculté que la corde ou le courant. Les femmes sont interchangeables, non la faculté ou la corde. Seul est constant, le besoin d'aimer, le besoin de sentir vibrer la corde. Pas de faculté ou d'organe qui ne nécessite ou n'exige son emploi.

 

Ce que nous disons pour l'homme est aussi vrai pour la femme. Et ce n'est pas parce qu'il y a beaucoup d'hommes autour d'elle qu'une grande amoureuse est une grande amoureuse. C'est parce qu'elle est une grande amoureuse, tout simplement, et qu'elle a d'ardents besoins à satisfaire, qui peuvent être du reste, beaucoup plus d'ordre sentimental que charnel.

 

Ce qui est vrai pour les perceptions amoureuses, l'est également pour toutes les autres, des gustatives aux dévotionnelles. Elles sont agréables ou désagréables, ni plus ni moins, et toutes mettent en cause l'unique corde susceptible de vibrer en nous lorsque se manifeste le courant...

 Sois attentif à ce qui se passe à la surface ou au fond de toi-même, et tu reconnaîtras ceci : quelle qu'en soit l'origine, tu n'es capable d'éprouver qu'une seule sensation, toujours la même en sa substance, mais qui sera selon les cas, agréable ou désagréable.

 

Et songe bien à ceci : ce qui te donne du bonheur aujourd'hui parce que cela répond à ton amour et qui ne t'en donnera plus demain parce qu'il aura cessé d'y répondre, que fait-il en réalité ? Il te donne aujourd'hui l'occasion de sentir vibrer agréablement la corde même, la seule, l'unique, qui te donnera l'occasion de sentir vibrer désagréablement demain. Que ce soit une musique, une théorie, un tableau, un ancien ami ou un parfum...

 

Trouver et cultiver

 

Maintenant, réponds-moi : si tu n'avais besoin de rien ni de personne pour que cette corde vibre en toi ? Plus exactement : si tu avais le pouvoir de la faire vibrer à ta guise, sans conditionnement extérieur, sans être tributaire de qui ou de quoi que ce soit ?

 

Eh bien, tu aurais trouvé la joie et le royaume. Et rien ne pourrait t'empêcher d'y parvenir si tu le souhaites réellement. Car ce pouvoir, tu le possèdes. C'est même ce qui te permet de dire que tu es fait à l'image de Dieu. Et tu possèdes en outre un nombre suffisant de « secrets ». Nous en avons vu ensemble plus qu'il n'en faut.

 

 Trouver la joie, vois-tu, c'est trouver le moyen de sentir le courant qui passe... Quel courant ? La vie... C'est savourer le passage de la vie en soi, et le savourer en toutes occasions et circonstances, même et surtout quand les choses « ne vont pas »... Je dis bien : même et surtout. Car rien ne t'empêche, s'il t'advient un tourment, de saisir en toi le son intérieur si tu le veux, et à plus forte raison, la joie intérieure qui est encore plus proche de ta conscience...

 

Tu peux avoir un ennui ou un chagrin. Que cela ne t'empêche pas de chercher l'état de joie -- qui est l'état de celui qui perçoit en lui-même le passage du courant -- et tu verras que les deux états, celui du chagrin et celui de la joie, peuvent parfaitement coexister. Cela se situe sur des plans différents, et il y aura en toi deux personnages : celui d'en haut qui regardera souffrir celui d'en bas et qui, peu à peu, le dégagera de sa souffrance...

 

 La chose, au début, ne va pas sans tiraillements. On est tantôt celui d'en haut, tantôt celui d'en bas, et beaucoup plus souvent celui d'en bas que celui d'en haut. On oublie, tu entends bien : on est tellement assujetti et obnubilé par les éléments du bas que l'on oublie que l'on peut, que l'on doit être le personnage du haut. Alors, il faut se souvenir...

 

Il y a également que l'on tient souvent à ses tourments comme les alcooliques tiennent à leur alcool, et que l'on cherche la guérison comme les paresseux cherchent à travailler. Alors, il faut se souvenir et même se contraindre à se souvenir, et, dans ce but, créer l'accoutumance utile, ce qui nécessite l'engagement supplémentaire dont nous avons déjà parlé...

 

Je m'engage donc -- tu répètes après moi, n'est-ce pas ? -- à rechercher au dedans de moi-même, deux fois par jour moins, et chaque fois durant cinq minutes, cet état de présence à la vie qui passe, cet état d'être qui est l'état initial de l'homme, l'état de joie.

 

Et chaque fois que je le trouverai -- ce qui sera chaque fois que je le voudrai au bout de fort peu de temps -- je me dirai : « tu es maintenant toi-même, car ton moi est en son centre, réellement toi-même, celui que tu dois être toujours ».

 Parviendras-tu à demeurer toujours en cet état ? Je te le souhaite, ami. Et il n'y a pas de raison pour que tu n'y parviennes pas.

Mais alors, ami, si tu es ainsi lié à ton Dieu pour l'éternité, n'oublie pas d'intervenir en toi-même auprès de lui pour tous ceux qui sont ou seront un jour sur le chemin...

 

FIN

 
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